Pas de commentaires sur cet excellent anti-guide, juste la reproduction de l'édito signé de l'auteur. Pas la peine d'en rajouter, la plume de Sylvie Augereau se suffit à elle-même, comme les vins dont elle parle !

EDITO

VOUS NE BOIREZ PLUS JAMAIS COMME AVANT

"La galerie de portraits qui suit dévoile des hommes bons. Les plus mûrs ont creusé un sillon alternatif au progrès productiviste. Les plus jeunes défrichent un terrain stérilisé par des décennies de chimie. Il n'y en a pas un sur cent, mais pourtant ils se multiplient.

En marge d'une viticulture qui berce le consommateur sous une façade bucolique, ils disent ce qu'ils font et font ce qu'ils disent. En face d'une politique qui les veut plus gros et plus contôlables, ils se font petits et autonomes. En conflit avec des banques qui ne misent pas un euro sur l'engagement écologique, ils bataillent constamment. Ils sont souvent bio, parce que c'est le chemin du bon. Parfois sans soufre, parce que ce peut en être l'issue. Quelquefois biodynamistes, parce que la dégustation leur en ouvre l'appétit. La tendance actuelle les cataloguera "nature" sans avoir préalablement défini les règles du jeu. Si le cahier des charges interdit les levures de vinification en sachet et limite les doses de sulfite au minimum digestible, alors les voilà estampillés.

Mais l'étiquette ne fait pas le moine. Disons qu'ils sont simplement "matures". Comme le fruit qui porte en lui le vin. S'il faut leur attribuer une religion, c'est celle du dehors. Si on les cherche, c'est là qu'on les trouvera. Ils vendangent manuellement quand le coût de la main d'oeuvre a fait plier l'immense majorité du pays. Ils labourent et piochent quand la France s'affiche premier consommateur européen de pesticides. Ils balancent des hectolitres à l'égoût plutôt que de se noyer dans la pharmacopée oenologique.

Ce Carnet de vigne vient vous chanter la ballade des gens heureux, passionnés. Un pas dans leur univers et vous ne boirez plus jamais comme avant. Il faut parfois le faire de côté, prendre des chemins de traverse, lâcher les belles appellations aux vins dormants, oublier les repères qui vous ont été inculqués, fuir les autoroutes sécurisés, esquiver les vignes bétonnées, se perdre pour se retrouver.

Ce Carnet de vigne ne vous aidera donc pas à remplir des caddies de bouteilles standardisées pour attendre leur hypothétique vieillissement dans le noir. Face aux flots de vins rendus muets pour mieux durer, notre sélection a tenté de dire la luminosité d'un fruit tiré par les racines et tenu par la pierre. Combien de temps cela peut-il vieillir ? Aussi longtemps que vous résisterez à l'envie de l'ouvrir."

Sylvie Augereau.